Imaginez une population entière qui se retrouve avec ce qu’elle peut se mettre sur le dos lors d’un si brutal réveil au milieu des champs, sous la neige et au froid. Comme maintenant. Peut-être avec les mêmes températures polaires que celles que nous avons traversées la semaine dernière. Certainement avec plus de neige encore.

Ce jour de catastrophe et d’abattement remonte au 18 janvier 1845.

Qu’est-ce qui figure sur la carte postale grimentzarde juste en dessous de l’église?

5 ans plus tard, le Sieur Rouaz [rappelez-vous son portrait] parachevait la construction de nos si célèbres Caves Blanches grimentzardes. Originaire de Grimentz, habitant de Sierre, Joseph Rouaz n’était pas propriétaire de terrain sur ce territoire, mais souhaitait y bâtir sa résidence d’été. Une forme de tourisme pour ce grand chasseur et ami de la montagne. C’est ainsi qu’il conclut un accord, certainement avec la famille Epiney à qui appartient encore aujourd’hui une partie du terrain [en tout cas le jardin soigné par Delphine à l'avant], afin de construire la succession que l’on connaît de 3 maisons dont la première revenait aux propriétaires du terrain.

Pourquoi construire ces maisons en maçonnerie et pas en bois? 12 après l’incendie de Mission, 5 ans après le premier incendie de St-Luc et bien d’autres en ces temps-là à travers tout le canton, Joseph Rouaz en a peut-être tiré la leçon tout en souhaitant mettre ses propres documents - il était avocat-notaire - à l’abri. Des archives coffre-fort, donc.

Ces constructions servaient aussi en grande partie à stocker des réserves de nourriture car Joseph Rouaz n'avait pas franchement la possibilité de passer chez Manor faire ses provisions au moment de rallier sa résidence secondaire... De solides murs en pierres constituaient-ils un rempart de choix pour empêcher les invasions de rongeurs, à l'instar de nos raccards à pilotis?

La date de construction figure sur une tabelle de pierre [le mot m’échappe] ancrée dans la façade sud de la première maison. Mais elle figure aussi de façon presque mystérieuse sur la ferronnerie qui orne les coins de la partie avant, juste sous le toit. Rassurez-vous, l’immoblog n’a pas découvert cela tout seul! Il aura fallu une bonne âme pour l’y rendre attentive. Après enquête, c’est avec certitude qu’il vous affirme qu’il ne s’agit pas uniquement de déco murale. En ces temps-là, on ne devait pas perdre trop d'énergie avec ce genre de design.

Maurice Loye, un descendant de la famille Rouaz [les Salamin le sont aussi] y possède une cave dans la partie arrière qui autrefois était la cuisine et la chambre du Maître Céans d’Antan. Maurice nous parle du chaînage qui est introduit dans la structure même des édifices et sont scellés par des clés afin d’empêcher les murs de s’effondrer en s’écartant. A l’intérieur, ces clés sont bien visibles, selon Maurice. On imagine donc que les chiffres 1, 8 au sud, et 5, 0 à l’est en sont la marque extérieure. L’édifice était ainsi daté… et signé.

St-Luc, 2ème incendie.

8 ans après, le ciel s’abat à nouveau sur Luc! Reconstruit à neuf, le village se consumait une fois encore. Un soupçon de matière inflammable échappé d’une lampe à pétrole avait suffi au désastre.

C’est par un beau matin du tout début juillet, que la foule des villageois s’est à nouveau retrouvée catapultée au milieu des champs, leurs bébés miraculeusement dans leurs bras, les enfants terrorisés, les adultes de noirs souvenirs au fond de leur coeur et la sinistre perspective d’un hiver à venir sans logis. «P… la m…!!!» traduirait-on gaillardement leur cri aujourd’hui!

Les villageois s’en remirent immédiatement aux mains de l’état pour la reconstruction de leur habitat. Ils réclamèrent eux-mêmes un plan d’aménagement permettant d’enrayer ce type de cataclysme et souscrivirent à l’idée de constructions en maçonnerie. A une toute petite minorité près.

Parmi quelques bienfaiteurs des lucquérands après ce second incendie, on retrouve notre Joseph. Devenu une personnalité politique d’envergure, bien que pas encore au zénith, il fut institué à la tête de la commission de reconstruction de Luc / St-Luc. Un ardu et long travail. C’est en ces termes que l’en remerciait [entre autres âmes providentielles] la population de Luc par la voix de son président Pierre Martin dans une lettre ouverte dans la Gazette du Valais, le 29 mars 1860:

(…) Le dévouement dont fit preuve à notre égard M. Le grand-châtelain Rouaz, de pour présider la commission chargée de surveiller à la reconstruction de notre village, il s’acquitta de ce poste avec tout le zèle et la sagesse qui l’honorent. Nos intérêts publics ont fait jusqu’à ce jour l’objet de sa principale sollicitude. Il comprit, lui, l’importance de la mission qui lui fut dignement confiée. Aussi le nouveau village de Luc, grâce à son habile direction et à son zèle, présente pour l’avenir la plus grande sécurité contre l’élément qui plusieurs fois l’a assailli, et qui, deux fois l’a presque anéanti! Incorruptible mandataire du gouvernement, M. Rouaz a déployé un zèle vraiment paternel. Nous lui devons une part de notre sûreté future, et ses administrés, quelques indifférentes exceptions faites, l’en remercient. (...)


Peut-être aurons-nous l’occasion une autre fois d’évoquer les bienfaiteurs. Il y eut encore des milliers d’anonymes de par tout le canton qui répondirent présents au moment d’aider à subvenir aux premiers besoins des habitants.

Référence principale: «Un village en feu» - Saint-Luc 1845 / 1858, Willy Théler, Ed. Le Ver Lisant, 2008